LES PARFUMS SE METTENT AU VERT

Les notes vertes mauvaises élèves des tests consommateurs ont longtemps été laissées de côté par les marques mondiales. Mais les oracles des tendances l’avaient prédit : le mouvement green renforcé par les confinements successifs a fait resurgir ces effets de sève, de feuille froissée ou d’herbe coupée.

C’est un signe : la dernière création de Frédéric Malle (Lauder) et le premier parfum signé chez lui par Anne Flipo, Master Perfumer IFF est un floral vert, très vert même. Si Synthetic Jungle (voir p. 26) a été pensé bien avant la pandémie, il reste révélateur du changement olfactif latent depuis plusieurs années. « Dans le contexte de demande de naturalité et de moins gourmand, de plus en plus de touches de vert se sont glissées depuis quelque temps parmi tous les accords », constate Isabelle Ferrand, directrice de Cinquième Sens. Par exemple associées aux fruits pour les édulcorer et les rafraîchir, avec les fleurs pour les rendre plus pétalées ou encore avec des notes de thé modernes. Chez les masculins, elles confèrent une fraîcheur actuelle en contrepied des bois ambrés omniprésents. »

Fin de cycle et crise sociétale 

Exemple typique, la note verte de H24 chez Hermès pour laquelle Christine Nagel a souhaité s’éloigner d’un « boisé conventionnel ». L’envol se fait aromatique et végétal avec le croquant vert du narcisse sur fond ambré. La couleur de l’espoir s’invite aussi dans la superproduction Phantom de Paco Rabanne (Puig), avec une overdose d’acétate de styrallyle verte, fruitée, zestée, qui rafraîchit le duo lavande et vanille. Soit une molécule synthétisée au début des années 1940… En regardant dans le rétro, elle fit son apparition en 1946 dans le floral frais aldéhydé Ma Griffe de Carven, avec déjà l’idée sous-jacente d’évoquer le renouveau au sortir de la seconde guerre mondiale. L’autre ingrédient star était le galbanum, aussi dénommé férule gommeuse. Cette résine issue d’une herbe sauvage d’Iran qui évoque la cosse de petit pois ou la carotte crue fut vraiment lancée par Germaine Cellier dans Vent Vert de Balmain pour évoquer le dynamisme printanier à l’attention des jeunes filles. Un peu la même histoire que Phantom, à quelques décennies près : les notes vertes réapparaissent souvent après une fin de cycle d’une famille de parfum sur fond de crise sociétale. Les fleuris verts type My Griffe rompaient avec le genre fleuri ampoulé d’avant-guerre quand les chyprés verts post « années baba-cool » en quête de retour à la nature furent d’immenses succès : Alliage ou Private Collection d’Estée Lauder, N°19 de Chanel, Anaïs Anaïs de Cacharel (L’Oréal)… Sauf que l’approvisionnement en ingrédients naturels dépend aussi des aléas géopolitiques. Lorsque l’Iran fait sa révolution à l’orée des années quatre-vingt, le galbanum se fait brusquement très rare. Peu à peu, la chimie prend le relais avec d’autres molécules comme le Cis-3-Hexenol à l’effet de pelouse tondue, ou bien la stémone, facette verte de l’accord figue ou encore des notes concombre. Côté naturel, une foule d’ingrédients ricochent de mille nuances de vert tel le bourgeon de cassis, aussi fruité et âcre, le lentisque méditerranéen ou l’absolu feuille de violette, aux relents de paille humide et haricot vert, cultivée notamment à Tourrettes-sur-Loup (06). Sans oublier l’arrivée récente sur le marché d’ingrédients issus des légumes type poireau, poivron, tomate par de l’upcycling ou de nouvelles technologies qui renouvellent la palette.

Une facette qui teste mal

Pour autant, le genre ne plaît guère au marketing. « Les notes vertes testent très mal en aveugle, car elles sont trop brutes et riont pas la complexité olfactive de la rose ou du patchouli », concède Amandine Pallez, directrice de la création des parfums Bulgari. Il faut les habiller pour les rendre portables, comme ce Vétiver très vert mais illuminé de citrus et adouci d’iris dans Man Terrae Essence. » Entretemps, la parfumerie d’auteur a aussi joué son rôle de précurseur en se réappropriant le galbanum de nouveau disponible en petites quantités. Parmi les plus remarquables, citons Untitled de Margiela (L’Oréal) en 2009, Mito de Vero Profumo en 2012, Corsica Furiosa, Parfums d’Empire en 2014, ou plus récemment la marque Dusita et son Sillage blanc, un étonnant chypré vert à l’ancienne. « Le galbanum comme toutes les notes vertes font partie de mon style et j’assume le risque d’une perception vintage », raconte Pissara Umavijani, créatrice de la marque. De plus, les jeunes ne les associent plus à des parfums anàens qu’ils ne connaissent pas. Alors qu’ils ont tous un coin de nature dans leur inconscient olfactif. Je dois cependant les lisser, ce qui représente un long travail technique. »

« Les verts type Galbanum sont à doser faiblement car cela sent le gras, la friture et le synthétique. C’est âcre et cela ne plaît pas au premier abord », tempère Alberto Morillas Maître parfumeur Firmenich. Pour moi, c’est un peu comme dans la mode : on s’extasie dessus dans un défilé mais personne n’en porte dans la rue. » Son dernier Mizensir se nomme pourtant Vert Empire, en hommage au jardin de la Malmaison. Mais ici, ce sont les petit grain, pamplemousse et néroli qui procurent cette fraîcheur naturelle, soutenue par de l’hédione et des muscs pour les assouplir et leur donner du volume. « J’ai préféré mimer une impression de sève pour plaire aux hommes comme aux femmes lassées par les parfums trop “cocotte’. » En contrepied, Anne Flipo (IFF) revendique son inspiration auprès des floraux verts et chyprés des années soixante-dix pour Synthetic Jungle. « Je suis de la campagne et le vert est mon élément, c’est l’eau, le printemps, la vie. De plus, il existe autant de verts chromatiques que d’ingrédients disponibles à la palette. Pour écrire de façon moderne, j’ai utilisé mille nuances  galbanum, styrallyle, Cis-3-hexenol, muguet, jacinthe, basilic aussi — : en tête toutes sont des bombes atomiques, que j’ai fondues dans un accord chypré actuel. Cela a nécessité un long travail d’orchestration avec Frédéric Malle afin de rester fluide. Du vert, d’accord, mais qui respire, qui diffuse et qui n’est plus genré : les conditions, techniquement difficiles, pour être dans l’air du temps. » 

Journaliste : Laurence Férat

Source Cosmétique Mag

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